La lettre du ministère été parvenue au siège du journal la veille, la secrétaire l'avait interpellé d'une voix étranglée. C'est fou l'effet d'un sceau officiel sur les gens du peuple.

Citation :

Cher M Archer, rédacteur-en-chef de la Voix Légale,

Vous êtes conviés à un entretient avec M. Vacqueyras Volodia dans les bureaux administratifs demain après midi à 17h.

Charmant.
Archer avait rassuré la secrétaire d'un sourire, et une fois celle ci sortie de son bureau, il s'était affalé sur son fauteuil.
Avec un temps aussi bref, difficile de contacter discrètement le Réseau.
D'un autre côté la lettre, aussi brève fut-elle, s'adressait au rédacteur-en-chef de la Voix Légale. Peu de chance, donc, qu'il soit convoqué pour ses liens avec la Résistance.
D'un autre côté il y avait la personne qui l'attendait, le ministre des communications. Encore un indice qui poussait Archer à ne pas s'inquiéter outre mesure. La convocation opterait certainement sur un article du journal, ou bien sur les autorisations de sorties occasionnelles demandées par le journal, ou… bref, un sujet rapport au journal.


C'est donc sans soucis autres que le sujet de son prochain édito qu'Archer se rendit au rendez vous auquel il avait été si chaleureusement convié.
La bâtiment accueillant les bureaux administratifs était d'une majestés incroyable, il en 'imposait' comme il disait lorsqu'il était plus jeune. Comme tout bâtiment abritant l'autorité il émanait des murs une aura visant à insinuer la peur et le respect à celui qui s'apprêtait à en passer la porte. Une porte tout aussi impressionnante qu'elle était un mélange de bois massif et de fer forgé.

L'intérieur était du même acabit, des couloirs dont les plafonds étaient bien trop haut, dans des tons sombres, et à l'éclairage soigneusement disposé pour donner à l'ensemble une ambiance tamisée qui poussait à la suspicion et donnait l'impression d'être observé à travers les murs.

Un bureau trônait dans l'entrée, une femme d'une quarantaine d'année à l'air sévère, un chignon bien serré sur le haut du crane, et déjà quelques cheveux blancs.

* Avec un poste pareil, pas très étonant… *

" Bonjour, j'ai un rendez vous avec M. Vacqueyras ? "

Elle lui jeté un regard peu amène et lève un sourcil interrogatif.
Soupirant sans s'en cacher Archer sort sa carte de presse et la présente à la secrétaire.

- Avant dernière porte à gauche.

Et elle repris ses occupations.

Secouant la tête devant cet accueil aussi chaud que la lettre de convocation qu'il avait reçu, Archer prit d'un pas léger la direction du bureau. Le couloir semblait long, mais il avait quinze minutes d'avances, pas besoin de courir !
7 minutes lui furent nécessaire pour arriver à la porte du bureau du ministre, laquelle était ornée d'une plaque de cuivre avec inscrite en majuscules le nom et la fonction de l'occupant des lieux.
Il frappa deux coups brefs.

Mourir enseveli sous une pile de rapports branlante ne fait sans doute pas partie des morts glorieuses pour l'Empire qui seraient récompensées à titre posthume. Mais ce sont les risques du métier. En tout cas, c'étaient les risques du métier jusqu'aux alentours du début du XXIème siècle.
Mais côté gestion et digestion des informations, Volodia Vacqueyras fait un peu vieille école. Rien de tel que de brasser du papier.

Et puis il n'y a rien de plus triste que la désolation solitaire d'un ordinateur unique planté au milieu d'un bureau agrémenté de bibelots à mouvements perpétuels qu'on ajoute pour désespérément remplir l'espace vide.
Non, sur le bureau du ministre, il y a de tout mais rien d'ornemental si ce n'est dans un coin incongru, un cadre dédié à sa famille. Chacun étant séparés sur des photos individuelles tant il semble compliqué de réunir trois Vacqueyras dans la même pièce pendant plus de dix minutes.

La seule chose qui manque à l'appel, et pour cause sinon il ne s'y retrouverait pas, c'est son agenda. Pour ça, il s'en remet entièrement à sa conseillère qui manage ses rendez-vous avec un millimétrisme de mathématicienne.
Et justement, entre deux gorgées d'eau minérale, son téléphone sonne tranquillement (Volodia a fait bannir l'usage des sonneries stridentes dans son ministère). Du feutré, du calme !

Il décroche, c'est justement sa conseillère.

- Oui Syline ?
- L'accueil vient de me prévenir, votre rendez-vous arrive avec un quart d'heure d'avance.

Volodia referme déjà le dossier qu'il était en train de parcourir et inspecte les reliefs de ses papiers empilés un peu partout. Il le recevra dans son bureau, il reçoit toujours les gens dans son atmosphère de travail. Parce que personne ne s'y attend justement.
Bien sûr, il est impossible de surprendre une quelconque information en louchant sur les dossiers… Volodia est trop malin pour laisser du crucial à portée de vue.
Il consulte sa montre et retrace mentalement le parcours compliqué qui doit mener son visiteur jusqu'à lui.

- Donc… disons 5 minutes ?
- Voyez plutôt 6 monsieur. Un peu plus je pense. Monsieur Archer n'est encore jamais venu.
- Ah, l'ébahissement de la pompe impériale.
- Non. Le fléchage déficient.

Avec un sourire amusé, Volodia raccroche le combiné et va chercher son veston pendu sur le côté. Pour recevoir, si son bureau peut se permettre un certain négligé, sa propre personne en revanche se doit d'être impeccable.
Il n'y a pas de miroir dans le bureau, pas plus qu'il n'y a de tableaux ou de poster de motivation. Juste des livres. Des tas. Des rayons de vieux livres qui montent jusqu'au plafond, lequel est peint d'une sorte d'allégorie étrange impliquant des angelots (bien sûr), mais aussi une majestueuse femme aux cheveux tressés en couronne et aux traits intimidants tenant une plume et une équerre : Sophine.

Mais sans aller jusque là, un peu plus bas, entre le tome 6 de la Révélation Notoire de Lalicorne (mis à l'index en 2071) et l'Encyclopédie de Diderot (mise à l'index en 2054), il y a un petit levier qui fait pivoter un bout de la bibliothèque pour révéler un petit cabinet de toilette. LE cabinet de toilette SECRET du ministre !
L'endroit où, entre autres secrets inavouables se cache un peigne et une brosse à dent qu'il s'emploie à utiliser pendant les quelques minutes qui précèdent l'arrivée d'Archer.

Et lorsque toquent les deux coups discrets sur l'important panneau de chêne qui sépare son antre du monde des mortels, Volodia est impeccablement assis à son bureau, tourné vers la fenêtre, en train de lire la dernière édition de la Voix Légale (évidemment).

- Entrez !

Il pivote sur son siège lorsqu'il entend la cinquième latte du parquet grincer, ce qui indique que son visiteur est approximativement à trois mètres de lui. La bonne distance pour le saisir dans son regard de frelon. Il replie son journal et le dépose ostentiblement sur son bureau.
Il lui sert un sourire cordial, se lève souplement et contourne son bureau pour aller lui serrer la main.

- Bonjour, bonjour monsieur Archer, je suis heureux de vous voir. J'espère ne pas avoir trop bousculé votre emploi du temps par cette convocation hâtive mais j'imagine que vous connaissez souvent ce genre d'aléa dans votre métier.

Le ton est à l'image de son sourire : chaleureux et respectueux. Sans dévoiler les crocs.

Archer tourna le bouton de la poignée de porte, pour se retrouver directement dans le bureau du ministre des illusions...
S'il s'attendait à faire face à un petit bureau avec une nouvelle secrétaire au chignon serré, ou tout du moins à une double porte, Archer fut déçu. Mais il n'en laissa rien paraître. D'ailleurs si les lieux étaient simples, l'accueil fut lui à la mesure des attentes du rédacteur-en-chef. Le ministre Vacqueyras avait du faire du théâtre, ou tou au moins prendre quelques cours de mise en scène, puisqu'il tourna son fauteuil juste quand Archer arrivait à sa hauteur.
Le plancher grinçant légèrement, que Christopher n'avait pas manqué de remarquer, restait le meilleur allié d'un homme prévoyant.

Le rédacteur-en-chef tendit une main au ministre pour une brève poignée, presque sèche.

" Monsieur le ministre "
* Serpent à sornettes serait plus approprié...*
Il hocha la tête en signe de bonjour. Non pas qu'il fut avare de mots, mais il n'était pas certain qu'un bon jour se profilait. Il Si la matinée avait été plutôt calme, un rendez vous au ministère à l'heure du thé n'était pas forcément synonyme d'une 'bonne' journée.

Après un mince sourire de politesse il répondit à la pseudo question du ministre quand à 'l'invitation' qui lui était parvenue la veille.

"Disons que les journalistes courent après le temps, et comme j'ai généralement un emploi du temps chargé mais flexible, je peux m'adapter aux exigences de rendez vous tardifs mais d'importance.

Dans un language plus chatié il fallait bien entendu comprendre par là que cette invitation surprise lui cassait les pieds, mais que comme tout bon citoyen il se pliait (sans pour autant se courber à en lécher le sol) devant l'Autorité.

Archer entrouvrit sa veste et sorti un exemplaire de la Voix Légale du lendemain.

"Je ne sais la raison de cet entretient, mais je me suis permis de vous amener un exemplaire du journal de demain. Il n'a pas encore subi les retouches de dernière lecture mais l'essentiel est là."

Un petit signe de tête accordé d'un léger mais élégant mouvement du poignet pour s'emparer du journal, à croire que Volodia est complètement comblé par ce présent anticipé. Lui donner la primeur d'une relecture, même entre professionnels de l'information (ou de la désinformation, c'est selon), c'est une courtoisie notable.

Le ministre refait donc le tour de son bureau en sens inverse et s'installe sur son gros fauteuil en cuir tandis qu'il invite le rédacteur en chef à faire de même en face. Dans son cabinet, les sièges réservés aux visiteurs sont souvent encombrés de dossiers et autres paperasses mais il se trouve justement qu'il y a une chaise en osier libre pour l'occasion.

Vacqueyras accorde quelques secondes silencieuses à la lecture des gros titres en se tapotant les lèvres, faussement pensif. Puis il enchaîne directement :

- Monsieur Archer, vous êtes un malin.

Clac, l'intro qui tue, portée par un index taquin pointé directement vers la poitrine de son interlocuteur. Volodia rengaine son doigt et reprend en écartant les mains :

- C'est vrai, un parcours impeccable. Vous avez la réputation d'être un homme discret mais efficace. Et pourtant, pour se hisser à la tête d'un média d'information aussi important, il faut savoir jouer des coudes. Mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe.

Tout aussi subitement qu'il est entré dans certains détails inattendus, le ministre écarte l'histoire d'Archer d'un balayement de la main. Son discours est fluide, élocution maîtrisée au quart de silence près. Et comme un rouage qui s'enclenche dans le mécanisme bien huilé, il passe au mouvement suivant :

- Compte tenu de vos qualités personnelles et professionnelles indubitables, j'espère ne pas me tromper en supposant que vous maîtrisez parfaitement les réseaux de diffusion. (Il se penche légèrement en avant). J'entends par là… toutes sortes de réseaux, y compris les plus inhabituels. Vous me suivez ?

Le visage du propagandiste patenté s'éclaire d'un bref et vif croissant de dents blanches. Il se veut confiant mais légèrement intimidant. Mettre son interlocuteur à l'aise sans jamais lui faire perdre à l'esprit qu'il est dans le palais de l'Empereur. Une fine dose de madère dans un whisky charpenté. La même frustration gourmande que l'on ressent lorsqu'en croquant une cerise bien noire, on s'éclate une dent sur le noyau.

- L'Empire a besoin de gens comme vous monsieur Archer. Volontaires, impliqués mais assez créatifs pour connaître la réalité des choses. Vous savez que Carl Demiol décrie l'imagination comme le meilleur vecteur de révolte ? Du besoin naît l'invention dit-on… mais je m'éloigne.

Volodia place maintenant ses deux mains de chaque côté de son ordinateur fermé, prend une légère inspiration et assène son noyau de cerise :

- Que savez vous des imprimeries clandestines ?